Tu as la prétention et l’inconscience de l’adolescence qui ne peut que se révolter contre son modèle tout en ne pouvant s’empêcher de le plagier gauchement, ne connaissant rien d’autre.  Le papa sourit au début en voyant le petit l’imiter, ça devient même une boutade dans la famille, mais lorsqu’il imite l’assurance et l’autorité du père et qu’il oublie qu’il imite, il oscille entre l’anxiété de n’être rien du tout et l’assurance que lui procure l’oubli d’imiter.  Il se sent fort … et incompris.  C’est pour ça sans doute que l’adolescent doit quitter la maison du père, au moment où toute contrainte à sa grandiloquence ridicule est ressentie comme une baffe, et aller expérimenter autre chose que ce calque innocent dont il doit de toute façon se départir pour vraiment devenir quelqu’un.  Quitter la maison du père et aller faire sa crise ailleurs.  Tu sais, les papas endurent qu’on casse un peu les meubles et se disent :  « Il n’est pas méchant dans le fond, il va vieillir ». Mais parfois, devant l’ampleur des dégâts ou de la crise, les papas, même les plus aimants, finissent par se fâcher et à dire des horreurs, à dire que le petit est assez vieux pour assumer ses responsabilités. Il arrive aussi que les petits ne comprennent jamais et restent éternellement de grands idiots. Ce ne sera pas ton cas, je le sais.

Tu l’auras remarqué, mon fils, je suis particulièrement en colère, sans doute parce que je commence à peine à réaliser le bordel que tu as semé, mais je m’en veux aussi d’avoir souvent fermé les yeux, pour ne pas blesser ta petite personne et semer des doutes traumatiques.  Je ne me le reprocherai jamais assez.

Si l’opinion de ton père peut encore avoir une quelconque importance, quitte cette voie, tu te cherches au mauvais endroit et tu finiras par te perdre.  Tu devrais peut-être accepter avant que le « cycle » ne soit complet.  Tu sais, le jour inévitable où on dit :  « J’aurais dû écouter papa, papa avait raison ».

Je cesse tout de suite cette agressivité idiote qui ne trahit que le conflit qui nous oppose… mais surtout mon propre désarroi.

Je te traiterai désormais en grande personne, quoiqu’il en coûte, et j’espère que tu sauras en assumer la responsabilité, quoiqu’il en coûte. C’est bien ce que tu veux de toute façon.

J’ai fait ce que je pouvais, t’ai aimé plus que tu ne pourras jamais l’imaginer et t’aimerai toujours.

Je suis toujours ton père et lorsqu’il sera clair dans ton esprit que je n’avais pas à être ton ami, nous pourrons le devenir l’un pour l’autre, mais dépêche-toi, je m’ennuie de cet adulte qui pousse en toi et que j’ai aimé chaque fois que je l’ai imaginé.

Pardonne-moi les jours où, comme aujourd’hui j’ai un peu manqué de patience. C’est très dur de cultiver des adultes; c’est épuisant, mais c’est passionnant. Je t’aime.