Par Gilles Vachon
Le texte qui suit contient assez de fantaisies pour faire sourire le lecteur,
mais bien trop peu pour me faire le même effet.

Les choses ne devaient pas se passer comme ça. Jamais je n’aurais dû vieillir !

Bien sûr c’était charmant de voir tout ce monde à la fête surprise de mes 60 ans, mais je n’arrivais tout de même pas à admettre ce chiffre pourtant si bien affiché. Et puis je ne les fais pas ces 60 ans! Normal ! C’est un tout jeune homme que j’imagine lorsqu’il m’arrive de penser à moi. Mais quand je me regarde dans la glace, ou que je pense à mes malaises …

Bon ! Il fallait être responsable et faire la visite médicale. Quand donc avais-je vu un médecin pour la dernière fois, enfin pour autre chose qu’un problème bien précis ? Dix ans, vingt ans ?

Pourquoi l’aurais-je fait d’ailleurs puisque je ne n’étais pas malade ?

Il me faudra du temps pour admettre que j’avais la trouille. La trouille qu’on me découvre une cochonnerie dont la seule annonce vous plonge dans le coma, et même la trouille de devoir admettre que j’avais effectivement des problèmes « normaux » liés à l’outrage du temps.

Quand j’avais l’âge auquel je m’imagine si volontiers, les gens de mon âge véritable étaient des vieux, des retraités ! Tiens parlons-en de cette retraite qui me fait aussi peur que l’âge lui-même !

Le questionnaire que je dois remplir dans la salle d’attente du médecin achèvera de me rendre mal à l’aise, moi qui ai toujours eu une si bonne santé ! Il m’aura fallu un effort d’honnêteté pour cocher plusieurs « oui » dont le seul nombre a fini par m’étourdir.

Chirurgies par le passé ?

4 pas plus !

C’était pourquoi et quand :

– Amygdalectomie, il y a je ne sais plus trop combien de temps ;

– Deux ou trois hernies … au fil des années ;

– On m’a enlevé un ménisque … à un moment donné ;

– On m’a enlevé la saphène dans la jambe droite il y a … moins de 8 ans  certainement.

Rien à voir avec l’âge ! L’usure tout au plus ! Quand ? Je ne sais plus vraiment.

J’efface le 4 et j’inscris 8, car il y a certainement autre chose qui ne me revient pas là sur le coup.Je ne me préoccupe tellement pas de ça !

Avez-vous des problèmes de mémoire ? Je suis moins certain là !

Avez-vous des problèmes d’audition ? En plein le genre de question qu’on pose aux vieux ! Mais j’ai répondu oui puisque toute ma famille me dit qu’il faut que je finisse par accepter. Ils sont fatigués de répéter. J’ai répondu oui tout en espérant qu’une chirurgie pourrait m’éviter des prothèses.

À la fin de l’exercice, la quantité de oui que j’ai dû consentir avait de quoi modifier le non que j’avais coché plus haut à : Avez-vous déjà souffert de dépression ?

Mais c’est la question relative aux allergies qui m’aura fait le plus réfléchir, fait peur.

Traditionnellement, je réponds non. Mais là j’avais envie de répondre que j’étais allergique aux médicaments, parce que c’est tout à fait exact. Je réagis très fort à toute médication, tellement que ça pose un problème de traitement.

À l’occasion des chirurgies d’un jour que j’ai subies, à chaque fois j’ai dû être hospitalisé parce que l’équipe médicale était incapable de me réveiller. Je me souviens d’ailleurs de cette étrange expérience où j’entendais le personnel s’étonner de ma catatonie. Comme si j’observais par petits segments et à partir d’un ailleurs ou de l’extérieur de mon corps. Le souvenir de cette expérience n’a rien d’agréable.

Une autre fois, malgré mes protestations fondées sur l’expérience, on m’a prescrit des anti- douleur en me conseillant vivement de les prendre. J’ai été docile, mais j’ai perdu deux jours de ma vie. Aucune idée de ce qui s’est passé pendant cette période. Angoissant ça aussi !

Bref, je réagis très fort à toute médication et cela m’a rendu méfiant. Je m’assure de bien prévenir mes médecins et quoiqu’on me prescrive, je vais me renseigner sur les effets secondaires, mêmes les très rares.

Merde ! Il faut bien avouer que j’ai la trouille de vieillir ; la trouille de la maladie ; la trouille des médecins et la trouille des médicaments !

J’ai eu une série de rendez-vous en radiologie, en cardiologue, chez l’ORL, chez l’urologue, chez le gastro-entérologue et ce n’est probablement pas fini. J’oubliais le chirurgien pour une hernie récidiviste et l’ophtalmologiste pour un début de j’ai oublié quoi. Pour l’instant, on a pas encore fait de demande de consultation en gérontologie, mais si ça continue de se compliquer c’est moi qui vais le suggérer, car de deux choses l’une ; ou bien tout ce beau monde conspire à me rendre dépendant ou bien le vieillissement et son cortège de symptômes qui ont motivé mes démarches « médicales » se réveillent de plus en plus.

Chacun de ces spécialistes me trouve un petit quelque chose et je crois que ce qui m’agace le plus c’est quand ils me disent que c’est normal à mon âge. Alors que je n’ai jamais pris de médicament autrement que quelques jours et parce que je SAVAIS que j’étais malade, voilà que je dois avoir la FOI et prendre chaque jour des médicaments pour ne pas être malade ! Plusieurs iront de leur petite pilule, mais aucun ne me parlera des effets secondaires et des interactions entre médicaments, bref des dangers bien réels de ces drogues.

Je suis dans un taxi et je réalise que quelque chose ne va pas. J’ai un bizarre de malaise qui prend forme, un peu comme si mon esprit flottait, se brouillait. Je me secoue un peu en me disant qu’un café arrangera ça. Je l’espère. Ça va en empirant. D’un côté, c’est comme si j’avais sommeil, mais d’un autre côté c’est plutôt comme si j’avais du mal à garder le focus sur mes pensées sans vraiment savoir à quoi d’autre mon cerveau s’occupe. À ce moment, un drôle de son se fait entendre dans mes oreilles. Il me faudra plusieurs secondes pour me rappeler que c’est ce qui annonce que les piles de mes prothèses auditives toutes récentes vont me lâcher.

Évidemment, coquetterie oblige, j’ai pris la prothèse hors de prix qu’on ne voit pas, très enfoncée dans l’oreille et difficilement manipulable, mais qui vous obstrue complètement ce qui vous restait d’audition en cas de panne. Ce n’est pas encore la panique mais quelque chose ne va manifestement pas.

Mon portable sonne et je crois lire « clinique » sur l’afficheur, mais je n’en suis pas certain. Je décroche sans mes lunettes que je ne trouve pas et je n’entends presque rien, mais je dis oui, oui. Pas oui comme dans « je comprends », mais oui comme dans « parlez plus fort ! » Je crois entendre « très bien, bonsoir ». J’ai rendez-vous dans trois jours à la clinique pour le suivi d’examens. Est-ce qu’on vient de m’appeler pour confirmer ? Pour annuler ? Pour devancer mon rendez-vous, auquel cas je devrais m’inquiéter peut-être … Pourquoi m’appelle-t-on à 19h. Est-ce que j’hallucine mes angoisses ?

Me voilà étourdi, sourd comme un pot et quasiment aveugle sur fond d’angoisse existentielle!

Je panique et je ne sais pas trop si c’est l’appréhension de ces spéculations ou l’inquiétude pour mon état physique actuel. J’ai chaud tout à coup, et moi qui n’entends pas grand-chose, j’entends tout de même mon cœur battre dans mes oreilles. J’ai pourtant bien pris mon médicament pour la pression ! Qu’est-ce que j’ai pris d’autre aujourd’hui ? Rien de bien grave à part un médicament pour soulager mon rhume des foins, lui aussi tout nouveau dans ma vie! Je traverserai cette soirée en finissant en KO avec autant de palpitations que d’appréhension, autant de confusion que d’angoisse. La clinique m’a-t-elle seulement vraiment appelé ou ai-je imaginé. Vérification faite, la clinique n’a pas appelé !

Plusieurs jours à dormir plus de coutume et à me réveiller le matin tout aussi fatigué que la veille et plusieurs jours à me dire qu’il serait peut-être temps de lâcher prise et de prendre cette retraite.

C’est la pharmacienne, je l’avais oubliée celle-là, et pas les médecins qui m’éclairent. Ne pas prendre de médicaments pour les allergies contenant XYZ si vous prenez tel médicament pour la pression.

À ma forte tendance à sur réagir à la médication, je dois maintenant ajouter une obsession pour une nouvelle locution. L’interaction médicamenteuse ! Je vais encore élargir mes horizons ! En cherchant bien, je découvre que ce que je croyais relever de la légende urbaine est bien fondé ! Le jus de pamplemousse est à proscrire avec ma médication. C’est évidemment mon jus de fruit favori et c’est maintenant devenu un poison pour moi.

Une lecture plus poussée me convainc rapidement que finalement, toutes mes appréhensions sont fondées ! C’est franchement dangereux pour la santé… de vieillir.

Et il s’en trouvera pour dire que je deviens négatif en vieillissant !