Les auteurs de ce texte s’expriment au nom du conseil d’administration de l’institut Milton H. Erickson Québec qui regroupe des médecins, dentistes, psychologues et autres spécialistes de la pratique professionnelle de l’hypnose.

La loi encadrant les services de psychothérapie a finalement été adoptée après des décennies de travail. C’est une victoire pour les professionnels, certes, mais bien plus encore c’est une victoire du bon sens. Plusieurs professionnels croient que l’absence de cadre législatif relevait d’un véritable anachronisme. Mais c’est aussi sans gêne qu’on peut dire que c’est une victoire autant pour la protection du public que pour les professionnels.

Saluant l’entrée en vigueur de la Loi 21, Mme Rose-Marie Charest, présidente de l’Ordre des Psychologues du Québec disait: « Les ordres professionnels concernés pourront mieux jouer leur rôle et ne plus être les témoins impuissants d’interventions inappropriées, sinon d’abus, dont sont victimes des personnes vulnérables sur le plan de la santé mentale». *

Si le pas franchi avec la Loi 21 est déterminant, il ne faudrait surtout pas s’asseoir sur nos lauriers. Au contraire, forts de cette confirmation d’autorité experte, les ordres concernés doivent s’intéresser à la façon dont la santé mentale risque d’être mise à mal par ceux qui échappent à la lettre ou à l’esprit de la loi.  L’hypnose, ou dit plus justement, sa pratique et le spectacle qu’on en fait pose un sérieux problème.

Quelques données bien d’actualité:

– Au Québec nous n’avons aucune législation qui encadre l’utilisation de l’hypnose de spectacle et l’hypnothérapie (ou des termes dérivés créativement : hypnologue, hypnothérapie, hypnotiste et quoi d’autre ?). La chose est bien différente dans bien des endroits du monde, en Israël, dans l’état de Californie, en Ontario…

– Dans le numéro de la revue de juillet 2012 “L’actualité” page 27, « on affirme que “Messmer l’hypnotiseur de spectacle a été «thérapeute» quelques années au début de sa carrière”.  Or, toujours selon le même article, ce dernier aurait appris à l’âge de 18 ans des techniques de la sophrologue Giselle Savard qui enseigne “à diminuer la fréquence des vibrations du cerveau pour aller au deuxième et au troisième niveau de conscience …”

– À Sherbrooke, au printemps 2012, dans une école secondaire privée pour jeunes filles,  le Collège Sacré-Cœur, un tout jeune homme a donné un spectacle d’hypnose avec pour tout bagage une formation d’une douzaine d’heures.  Il a eu de la difficulté à “déhypnotiser” une adolescente qui est restée confuse pendant près de cinq heures.  Cette situation a fait les manchettes locales, nationales et même a eu des répercussions internationales.

– Dans un article de La Tribune de Sherbrooke, une journaliste cite la réaction de l’un des signataires de ce texte “un appel à la prudence” par rapport au commentaire de Messmer qui affirme que “l’hypnose n’est pas dangereuse”.

– Depuis qu’il a servi de sujet lors d’un récent spectacle de Messmer, Yvan (nom fictif bien que nous ayons obtenu la permission d’utiliser le témoignage d’ «Yvan») est resté très incommodé. Il n’arrive plus à contrôler son temps de façon ordonnée, contrairement à son habitude. En fait, on pourrait résumer ses symptômes en disant qu’Yvan vit beaucoup de confusion avec le temps et plus spécifiquement avec ses engagements impliquant un rapport au temps. L’un des signataires de ce texte traite Yvan en ce moment.

– Dans nos expériences de cliniciens, plusieurs fois avons-nous eu à intervenir pour aider des personnes à récupérer leur état de conscience éveillée après qu’ils se soient portés volontaires pour un spectacle.

– À la suite d’un autre spectacle, un médecin travaillant en salle d’urgence consulte “… un patient est resté le regard hagard, on a su qu’il  a été sujet dans un spectacle d’hypnose.  On nous l’a amené à la salle d’urgence… Que devons-nous faire? »

– Phénomène inquiétant, plus récemment nous avons observé que  pour se mettre à l’abri de la Loi 21, plusieurs personnes ayant jusqu’à récemment affiché un titre de psychothérapeute ont troqué celui-ci pour hypnothérapeute. Plus inquiétant encore, certaines des personnes utilisant cette stratégie semblent des émules d’hypnotiseurs de spectacles.

L’opinion des signataires

L’état hypnotique est un état naturel de dissociation.  Dans ce processus naturel, la déhypnotisation ne pose pas problème. Toutefois,  lorsqu’une personne utilise des techniques pour provoquer ce phénomène, il en va tout autrement. Oui, l’hypnose peut être dangereuse si la personne qui utilise ces techniques n’a pas une solide expérience et une formation minimale en psychologie et aussi, si elle le fait dans un contexte où les précautions normales ne peuvent tout simplement pas être prises.

Voilà, en peu de mots, pourquoi il faut impérativement s’assurer que la pratique de l’hypnose (à visée thérapeutique ou de spectacle) soit encadrée et éthique.

Données sur l’hypnose

– L’hypnose est un phénomène que scientifiques et professionnels ont beaucoup étudié.  Et, non, ce n’est pas un pouvoir mesmérien!

– L’hypnotisme est un état ou un processus par lequel une personne utilise des suggestions ou des consignes. Nous ne provoquons pas la transe, nous aidons un sujet à la provoquer lui-même. Les techniques de l’hypnotiseur de spectacle visant à provoquer la transe sont des techniques faciles à utiliser. Toutefois, ce ne sont pas des techniques relevant de l’hypnose, mais de la manipulation, et c’est assez facile à démontrer. Plusieurs expériences de psychologie sociale nous expliquent comment on y arrive. (Fait à noter, les chercheurs qui font ses expériences doivent respecter un code d’éthique)

– L’hypnose n’est pas un sommeil.  Prétendre le contraire, spécialement pendant un spectacle, est extrêmement dangereux. Ce n’est pas le sommeil qui est alors provoqué, mais une forme de dissociation qu’on pourrait ne pas contrôler facilement, le sujet émettant moins les signes qui nous permettent normalement de «monitorer» la transe. (Signes : « le regard de transe », la flexibilité cireuse, micros indices liés à la respiration ou à la déglutition).

– 10 % de la population répond très facilement à la suggestion hypnotique*.

(* À l’opposé, on sait que 10% des gens ne répondent pas à ces critères de suggestibilité et que les 80% restant semblent se répartir selon une courbe normale)

– Par une simple technique de tri, les hypnotiseurs de spectacle choisissent ces personnes de préférence aux autres. Ce faisant, ils misent aussi sur une escalade d’engagements des sujets en augmentant la pression sociale et la pression vers la conformité chez des sujets déjà fortement motivés.

– Comme nous savons que, parmi le groupe répondant bien à la suggestion hypnotique, 6 personnes sur 10 peuvent produire une catalepsie et s’en étonner elles-mêmes, les chances d’avoir un succès «spectaculaire» sont effectivement évidentes pour la perception du pouvoir de l’hypnotiseur, mais d’une navrante contre-productivité pour la crédibilité de l’hypnothérapie.

Finalement, pour faire une image quelque peu hypnotique …

Si l’invention de Nobel nous a aidés à construire des routes et à aller plus loin, il est aussi vrai qu’allumer une mèche est extrêmement simple.

Or, la publicité nous informe que le dénommé Mesmer s’apprête donner un nouveau spectacle où il exploitera particulièrement la modification du rapport au temps. Cette fois, tous les spécialistes savent qu’il faut réagir, car notre artiste risque cette fois de provoquer des drames qui nous feront passer des effets spectaculaires aux radiations à long terme.

Phénomène récent et découlant de la récente législation sur la psychothérapie et le titre réservé de psychothérapeute, nous avons commencé à observer une stratégie qui inquiète chez certains ex-psychothérapeutes.

En effet, des individus ayant jusqu’ici utilisé le titre de psychothérapeute troquent celui-ci pour «hypnothérapeute» au hasard de formations que nous ne pouvons cautionner, loin de là.

À l’enseigne des positions prises relativement à la psychothérapie, nous avons la conviction que des positions claires doivent être prises :

  • pour que le public soit protégé contre les abus et frasques des hypnotiseurs de tout acabit et avoir accès à l’hypnose professionnelle.
  • Tout comme on a fini par comprendre que la thérapie devait être encadrée, l’enseignement de l’hypnose aux professionnels qualifiés doit l’être;
  • pour encadrer l’usage de divers titres et déclinaisons relatives à quelques forment de prétention que ce soit à la thérapie par hypnose.

Il en va de notre devoir de protéger le public.

Michel Kerouac, MA, tcf, ps.éd. psychothérapeute

PDG, Formateur titulaire

Gilles Vachon, M.Ed.,M.A. Ps., Psychologue

Au nom du Conseil d’administration de l’institut Milton H. Erickson Québec

Octobre 2012

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