La honte ou la culpabilité peuvent-elles être des causes ou des motifs de suicide ? Certainement !
Citons le cas du Seppuku dans la culture des samouraïs, où le code d’honneur amenait les individus à racheter celui-ci en se faisant hara-kiri. C’est à nos yeux d’Occidentaux modernes presque pathologiques, mais c’est surtout affaire de culture.
Dans notre société où le taux de suicide pose bien un problème, ce n’est probablement pas tant par culpabilité que par absence de sens, et peut-être même parfois par absence de sens de la culpabilité.
Si on ne peut ni ne doit faire l’éloge de la culpabilité, il n’en reste pas moins que l’absence de culpabilité n’est l’affaire que des psychopathes. Personne ne souhaiterait donc voir disparaitre celle-ci complètement !
Notre culture a pourtant fait une très mauvaise part à ces deux « sentiments ». Serions-nous allés trop loin ?
La deuxième topique freudienne reste particulièrement utile pour aborder la question.
L’APPAREIL PSYCHIQUE, DEUX RÉALITÉS, LEUR CONFLIT ET SA GESTION
LA STRUCTURE: Deux réalités en conflit (plaisir et interdits) seraient gérées par un appareil psychique où elles seraient intégrées sous forme de deux composantes de la personnalité. Le « MOI » serait chargé de gérer ce conflit au niveau de la réalité et il engloberait les deux autres composantes.
PRINCIPE PLAISIR : Nous serions des êtres recherchant leur intérêt personnel, leur plaisir égoïste. Freud lui-même était convaincu que tout cela se ramenait à la sexualité. D’autres ont toutefois considéré que le pouvoir, les biens matériels et bien d’autres choses encore pouvaient agir de la même façon et en propre, se distinguant de la pulsion sexuelle à proprement parler. Ainsi, brutalement dit, l’individu pourrait détruire ses semblables pour satisfaire ses pulsions. Le principe plaisir serait intégré ou intériorisé dans le « ÇA ».
PRINCIPE RÉALITÉ : L’être humain est frêle et, dans un monde préhistorique, il était à ce point démuni qu’il n’aurait pas survécu seul. Il y avait nécessité de vivre en groupe pour la survie individuelle autant que collective. Les interdits visant à assurer de pouvoir « vivre ensemble » (principe réalité) seraient incarnés par le « SURMOI ».
CONFLIT RÉEL : On comprend vite que ce conflit devait se régler dans l’intérêt commun et que le groupe, paradoxalement, s’autorisait à exécuter quelqu’un qui tuait son semblable … sans bonnes raisons. C’est ici que les codes culturels ont varié selon les conditions de lieu et de moment. Tuer un assassin ou un voleur pouvait être toléré (LA LOI) dans bien des cultures.
NÉCESSITÉ D’UN CONFLIT INTÉRIORISÉ, INTRAPSYCHIQUE
Le groupe ne pouvait surveiller chacun et à tout moment. En l’absence d’observateur, un individu aurait pu exécuter un à un ses semblables pour son propre plaisir, sans répression directe, tout en menaçant ainsi la survie de tout le groupe, et conséquemment la sienne.
Il fallait un surveillant qui soit plus efficace et omniprésent. C’est la culture qui allait être la solution. À travers les mythes, la religion et tout un ensemble de rites, on allait « enseigner » aux individus à se retenir, à se réprimer eux-mêmes.
L’éducation allait faire une liste d’interdits qui devaient cette fois être intériorisés par chaque membre. Dieu ou les esprits allaient donc vous voir (l’oeil de Dieu est partout) et même s’il ne vous arrivait rien pour l’instant, vous iriez en enfer à la fin de vos jours.
Plus la répression objective restait grande (peine de mort, par exemple), plus l’efficacité était renforcée par le caractère dogmatique des religions (on ne négocie pas avec la liste des péchés sous peine d’être exécuté). Le dogme était à son tour renforcé par la réprobation collective où chacun réaffirmait explicitement son adhésion, souvent en lançant des pierres à celui ou celle qu’on exécutait.
Les dérapages sadiques étaient donc possibles sous forme de folies meurtrières collectives. Rappelons que la grande inquisition a fait plusieurs milliers de morts et que leur nombre a passablement varié dans le monde chrétien, d’un pays ou d’une sous-culture à l’autre. Encore aujourd’hui, dans plusieurs endroits du monde, les exécutions publiques sont un spectacle à ne pas manquer. Avant de traiter qui que ce soit de barbare, il y aurait avantage à se rappeler que c’était encore il n’y a pas très longtemps dans nos cultures.
LE CONFLIT INTRAPSYCHIQUE EN ACTION
Comme déjà mentionné, il fallait que le conflit devienne intrapsychique et, le devenant, voici comment les choses fonctionneraient.
RAPPEL DE LA STRUCTURE : Dans l’appareil psychique, le PRINCIPE PLAISIR serait intériorisé par l’instance du « Ça ». Nous aurions toujours en nous, dans notre psyché, toutes nos pulsions plus ou moins conscientes qui feraient face au PRINCIPE RÉALITÉ.
La répression intériorisée serait l’instance morale qui agirait pour réprimer les manifestations anti sociales du « Ça ». Il s’agit bien sûr du « SURMOI » que l’éducation se serait chargée d’installer en chacun de nous.
Au niveau de la RÉALITÉ, c’est le « MOI » qui ferait face, tout en étant chargé d’intégrer le « Ça » (principe plaisir) et les interdits (SURMOI). Mais le « MOI » devrait surtout gérer les pulsions et les interdits de façon à maximiser le plaisir et l’adaptation, c’est-à-dire résoudre les conflits dans la perspective la plus économique et la plus efficace possible.
LA DYNAMIQUE PSYCHIQUE : L’expression des pulsions devrait se réaliser selon un code acceptable que des mécanismes d’adaptation permettraient. La sexualité s’exprimerait par exemple selon un code acceptable où la pulsion serait sublimée dans l’art ou dans le mariage. D’un autre côté, une transgression trop manifeste des interdits provoquerait un malaise (angoisse) que des mécanismes de défense tenteraient de juguler avec une efficacité dont la relativité serait d’ailleurs la source de symptômes psychologiques.
Venons-en à la honte, à la culpabilité et à la morale.
Commençons par affirmer que ce serait une grave erreur de rejeter la morale avec les dogmes religieux. Ce serait jeter le bébé avec l’eau du bain. Le Siècle des lumières s’est d’ailleurs appelé ainsi, entre autres, parce qu’on redécouvrait la morale et sa nécessité en dehors des dogmes. C’est en effet le moment de l’histoire où les humains ont triomphé du dogme en redécouvrant, comme les philosophes antiques avant eux, la raison et la MORALE (Que dois-je faire). Comment « vivre ensemble » (ÉTHIQUE) est un thème central de la philosophie.
Affirmons maintenant que la culpabilité reste finalement une bonne chose et que contrairement à ce que notre époque a trop souvent répété, elle n’est en général pas à éliminer, mais à éviter par un comportement mature psychologiquement, morale et empreint de raison.
Si la culpabilité origine du « SURMOI » et que c’est dès lors essentiellement un évènement privé, la honte, pour sa part, a à voir avec l’idéal du moi ou, dit d’une façon simple et peu orthodoxe, avec l’image qu’on aurait souhaité projeter. En ce sens, est est psychosociale.
On pourrait dire que la honte est le pendant public de la culpabilité, mais ce serait faire un peu court. La honte et la culpabilité peuvent toutefois avoir un effet additif au point de se confondre et, oui, de provoquer chez l’individu au moi vacillant ou au mécanisme de défense en panne, une détresse suicidaire.
Gilles Vachon. M.Ed., M.Ed., psychologue
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